Une Chambre. Un jeune homme qui rêve. La demi pénombre du jour qui vient ou s'en va. Que s'est-il passé entre ces quatre murs? Rien, peut être. Ou quelque chose que cette chambre maléfique ne révelera jamais. Ou encore, quelqu'un de ces crimes passionnels dont les archives de police conservent la photographie objective et terrible. Un peu de sang, répandu dans beacoup de banalité. Le seul moyen, peut-être, d'échapper à la désespérance du jour.

Tel est le décor de ces douze chansons (plus un texte parlé) écrites pour Jean Guidoni, et qui n'en forment en réalité qu'une seule, un long chant de solitude et de mort, alimenté par quelques minimes incidents de la vie quotidienne: vieilles photos retrouvées, brides de conversations entendues, fait-divers inlassablement relu sur un journal périmé, terreurs vagues entretenues par le regard des autres...

Mais ce chant de solitude et de mort aussi - est surtout - une longue plainte amoureuse. Amour réel, taché, détruit par les assauts du quotidien? Ou amour rêvé, sublimé, construit comme le scénario d'un de ces grands films romanesques qui ne peuvent finir, c'est évident, que par un geste sanglant? Libre à l'auditeur de choisir. Ces chansons sont ouvertes comme autant de natures-mortes d'où l'homme viendrait de se retirer, n'y laissant qu'une trace énigmatique.

Tel fut aussi le spectacle que présenta, à l'automne 82, Jean Guidoni aux Bouffes du Nord: une heure dépouillée, nue, tranchante, où le chanteur évoluait dans un espace gris, mis en puzzle cubiste par des faisceaux de lumière froide. Seules les toutes dernières minutes nous ramenaient à une réalité: celle d'une chambre de célibataire minable, où la splendeur mystérieuse des instants évoqués dans les chansons se résolvait dans une désespérante analyse d'objets gris et quotidiens, presque invisibles à force de banalité.

Merci à Jean G. d'être ce rêveur. Lui seul pouvait exprimer la tendresse et la rage de cet "opéra pour un homme seul" écrit pour lui seul. Merci à Astor P. d'avoir habillé mes mots du velours violet de sa musique. Merci à Laura E. et ses rires de l'été 81. Merci à Gérard B. pour l'avoir si bien accueillie. Et merci à Peter W. pour qui, sans le savoir, j'ai écrit "Coups de Coeur".

(Pierre Philippe, notes de pochette de l'album)

 

Aujourd'hui, cette musique et ces mots s'inscrivent dans ce cahier en signe égaux, et nous vérifions là que "Crime Passionnel" est une oeuvre lyrique comme une autre, prête peut-être à trouver d'autres voies - d'autres voix - pour se faire entendre. Cela est tout à la fois redoutable et excitant. Qu'il me soit donc permis à ce moment de saluer Astor Piazzolla dont la musique tendre et violente sut magnifier mes mots et les porter sur le plan supérieur de l'art lyrique. Et qu'il me soit permis de saluer et de remercier Jean Guidoni sans qui tout ceci ne serait que morne spéculation et qui sut faire de ce petit bonhomme gris, écartelé entre les misères du quotidien et les horreurs de l'amour, une figure inoubliable. Une de ces figures de référence sur lesquelles le futur se penchera et s'interrogera, enviant nos contemporains d'en avoir reçu les vibrations brûlantes et indicibles.

(note du recueil de partitions)
Pierre Philippe


L'important, c'est que "Crime Passionnel" est différent. Jean, Pierre et moi sommes différents. Nous autres avons toujours travaillé en auteurs heureux, sans concessions et, comme les Trois Mousquetaires, "Uno para todos, y todos para uno"...Telle est notre poésie, et telle est notre musique. Et tel est notre interprète.

J'aimerai qu'il y eut beaucoup de Jean Guidoni en ce monde. En tant qu'Argentin, je suis honoré et très heureux de travailler avec Pierre et Jean et d'être leur ami. Deux français qui me font me sentir Français autant qu'eux. Je n'oublie pas Marcel Rothel, notre quatrième mousquetaire.Et à notre prochain "crime"!

(notes de pochette de l'album)
Astor Piazzolla