TEXTES

 

TOUT VA BIEN

Paroles: Pierre PHILIPPE
Musique : Astor PIAZZOLLA

Je n'étais pas sorti depuis le grand labour
J'attendais que les cris s'espacent et cessent enfin
Entre mourir de peur ou bien mourir de faim
J'ai pris tout mon courage et rampé vers le jour
Tu sais J'ai survécu dans un -endroit bizarre
Au fond d'une ambulance à moitié calcinée
Vivent parmi les morts et comme halluciné
Au coin de ce que fut notre gare Saint-Lazare
Je respire un grand coup et voilà que revient
Le soleil espéré et que cesse la bruine
Je trouve ce papier qui volait dans les ruines
Et j'écris cette lettre pour te dire Tout va bien

Tout va bien
Ici
Tout va bien
On sent
A des riens
Que la
Vie revient
Tout va bien
Mais oui
Tout va bien
Et le
Quotidien
Le dit
Le maintient
Tout va bien
Amour
Pour ton chien
Pour les
Parisiens
Pour mol
Et les tiens
Tout va bien
Crois-le
Tout va bien
Bonjour
Tout va bien
Je t'aime
Tout va bien

J'ai marché dans les rues ton ombre dans la mienne
Les vainqueurs distribuaient la soupe à l'Opéra
J'ai lapé dans le bol tendu par un para
Là où nous goûtions les tempêtes wagnériennes
On avait déblayé boulevard des Capucines
Vers l'Olympia en ruines j'ai vu quelques putains

C'est bon signe je crois lorsque le vieil instinct
Narguant les convenances remonte des racines
J'ai fait un grand détour pour ne pas rue Royale
Contempler le charnier où grouillent encore les rats
C'est là où fut dit-on abattu Jean Ferrat
Et le vent apportait des musiques martiales

Les vainqueurs défilaient commentés par Zitrone
Moi je ne disait rien les yeux sur la télé
Te mère se lamentait : ses opalines fêlées
Malgré l'ordre et la paix la faisaient rire jaune
Allez mon petit Jean votre quartier est triste
Et rempli de cadavres en décomposition
Restez donc à dîner Il y a une émission
Avec Mireille Mathieu je l'aime bien comme artiste
Mais puisque vous partez prenez garde aux patrouilles
Ils ont parqué les rouges au Palais des Congrès
Dans le Palais des Glaces les pédés sans regret
Et au Palais des Sports vos chers juifs ont la trouille

Pour revenir chez nous comment passer la Seine
Barbelés sur les ponts barbelés sur les quais
Près d'un cratère j'ai cru revoir le mastroquet
Où nous nous retrouvions en des heures moins malsaines
Ce bistrot déglingué c'était tout notre empire
Le futur y avait un visage précis
Naïfs que nous étions et aveuglés aussi
Qui nous Imaginions pouvoir prévoir le pire
Adieu notre jeunesse voilà le temps qui vient
Du bâillon des oeillères et de la pestilence
Le temps des ovations et celui des silences
Que l'on ne rompt que pour se redire:
Tout va bien

Tout va bien
Ici
Tout va bien
On sent
A des riens
Que la
Vie revient
Tout va bien
Mais oui
Tout va bien
Et le quotidien
Le dit
Le maintient
Tout va bien
Amour
Pour ton chien
Pour les
Parisiens
Pour moi
Et les tiens
Tout va bien
Crois-le
Tout va bien
Je t'aime
Tout va bien
Adieu
Tout va bien

Vivace mon amour on essaiera de l'être
Tu le seras aussi comme cette vie qui va
Comme l'est ce brin d'herbe cueilli dans les gravats
Que je glisse pour toi dans le pli
de ma lettre

© 1983 Avec l'aimable autorisation des Editions Universal Music Publishing. Tous droits réservés.

ROUGE

Paroles: Pierre PHILIPPE
Musique: Carlos D'ALESSIO

Ils me font rire avec leur croyance
Ils me font rire avec leurs drapeaux
Leur chemise prête à montrer leur peau
Et leurs cris réunis sous un ciel de faïence

Moi aussi J'ai marché sur la terre
Moi aussi J'ai été du troupeau
Le coeur grand et la rose au chapeau
Moi aussi J'ai chanté c'est la faute à Voltaire

Et puis un jour le désir s'incarne
Le jour vient où l'Histoire enfin ploie
Le jour où l'humilié fait la loi
Montant la liberté comme on monte une carne

Alors vois les damnés de la fange
Changer tout et changer de chanson
Leur ère nouvelle c'est l'ère du soupçon
En procureurs féroces se changent les archanges

Ecoute donc la voix des peuples qui grondent
Regarde ces feux qu'il nous faut attiser
Vois tout autour du monde
Aux poings martyrisés
Ces chaînes qui nous restent à briser

Elle me fait ricaner leur justice
Leur volonté de changer de Jeu
Leur absurde chimère de partageux
Et leur poitrine offerte à tous les sacrifices

Viens avec nous tu n'es pas seul camarade
Viens avec nous pour changer demain
Rejoins le bon côté de la barricade
Oublie ton angoisse et donne-nous la main
Ecoute donc la voix des peuples qui grondent
Regarde ces feux qu'il nous faut attiser
Vois tout autour du monde
Aux poings martyrisés
Ces chaînes qui nous restent à briser

Oui Il y a tant de combats au monde
Que personne n'a encore engagée
Tant de pain qui reste à partager
Tant d'appels attendant qu'enfin on leur réponde
Qu'à la fin on a quelque scrupule
A réduire tant d'espoir assemblé
A ne voir que chiendent dans le blé
Et dans tant de héros compter tant de crapules

Vous marchez en soufflant dans vos cuivres
Ignorant les justes qu'on abat
Vous allez à de nouveaux combats
J'aimerais vous croire encore et je voudrais vous suivre

Ausculter le vieux monde et le sentir qui bouge
Retrouver qui je fus autrefois
Cet enfant plein d'amour et de foi
Retrouver avec vous le bonheur d'être rouge

Seul parmi vous acceptez-moi camarades
Je voudrais tant que change demain
Je choisis ce côté de la barricade
J'oublie mon angoisse et vous donne la main
Ecoute donc la voix des peuples qui grondent
Regarde ces feux qu'il nous faut attiser
Et tout autour du monde
Aux poings martyrisée
Ces chaînes qui nous restent à briser


© 1983 Avec l'aimable autorisation des EditionsUniversal Music Publishing. Tous droits réservés.

LE BON BERGER

Paroles: Pierre PHILIPPE
Musique: Yani SPANOS

Les caveaux de famille ont de pesants mystères
Qu'il vaut bien mieux parfois laisser dormir en paix
Il faut laisser le droit aux aïeux de se faire
Accepter leur baiser et leur silence épais
Car s'il vous prend l'envie de chercher vos racines
Dans les tiroirs secrets des buffets Henri III
Vous y découvrirez des photos qui fascinent
Mais aussi le parfum de l'an quarante-trois
Vous risquez de trouver au creux des ménagères
La francisque martiale sous les couverts d'argent
Et dans le cher album la figure étrangère
D'un noble et beau vieillard au sourire engageant

Tous les enfants de France
Ont un second papi
Couronné d'espérance
Et de chêne au képi
Etoile à la houlette
Et moustache enneigée
Petit Francais répète
"Tu es notre berger"

(*):
Il n'est pas vraiment mort le maréchal aimable
Il juge vos actions, protège vos vertus
Et si son effigie ne trône plus à table
Elle veille encore au grain comme un vieillard têtu
Au moindre appel, voyez, les regards s'illuminent
Cerveaux au garde à vous et le cœur en gala
Les ancêtres oubliant le rock et l'albumine
Entonnant tous joyeux "Maréchal nous voilà"
Et chacun de conter comment de la défaite
Un berger consolât tout un peuple vaincu
Et comment il su faire d'une malheur une fête
Avec quelques discours et coups de pied au cul.

Orphelin de moitié quand mon papa d'OEdipe
Trimbalait le complexe plus qu'il n'est de raison
Un psychiatre apparut du prénom de Philippe
Et mamie s'écria : "Un homme à la maison"!
Alors mon cher papa fit couper ses anglaises
Qu'aux pieds du maréchal il s'en vint déposer
Petit short kaki et les genoux à l'aise
Jurant de féconder notre sexe opposé
Se gavant de Doriot plus que de vitamines
Il attendait le jour en relisant Péguy
Où lui aussi pourrait liquider la vermine
Et seconder tonton à traquer les maquis

Tous les enfants de France
Ont un second papi
Couronné d'espérance
Et de chêne au képi
Etoile à la houlette
Et moustache enneigée
Petit Francais répète
"Tu es notre berger"

Tata Fernande avait encore sa chevelure
Ses coques étagées dont mon oncle était fat
Ce bon tonton Marcel qu'il avait fière allure
Sous le béret viril marqué du signe alpha
Ils veillaient tard le soir et peaufinaient les listes
Des amis et voisins qui dessinaient des V
Des plouto-francs-macons et des bolcho-gaullistes
Des anglo-communistes à jamais enjuivés
Et puis au petit jour songeant à la droiture
Du héros de Verdun tonton s'assoupissait
Cependant que tata à la Kommandantur
Postait ce qu'ils savaient de ces mauvais Francais

Tous les enfants de France
Ont un second papi
Couronné d'espérance
Et de chêne au képi
Etoile à la houlette
Et moustache enneigée
Petit Francais répète
"Tu es notre berger"

Quand grand'mère finissait d'espionner les voisines
Derrière le frais voilage des rideaux de Vichy
Elle semblait inventer la nouvelle cuisine
Au mou de veau spongieux farcissant ses hachis
"J'aurais tant aimé que papi goûte ma recette"
Disait-elle en touillant l'exquis rutabaga
Mais grand'père est mort depuis mil neuf cent dix-sept
Quelque part sur le front et d'autres petits gars
Comme lui ne diront rien à celui qui contemple
Leurs noms bien alignés dont l'or déjà s'éteint
Car mon grand'père est mort fusillé pour l'exemple
Sur l'ordre du bon berger sur l'ordre de Pétain

Tous les enfants de France
Ont un second papi
Couronné d'espérance
Et de chêne au képi
Etoile à la houlette
Et moustache enneigée
Petit Francais répète
"Tu es not're berger"

* Couplet original de 1983, ajouter en 1999 pour "Fin de Siècle"

© 1983 Avec l'aimable autorisation des Editions Universal Music Publishing. Tous droits réservés.